Une veuve coincée sans héritage

Julie a failli se retrouver sans le sou lorsque son conjoint est décédé sans testament. Sans l’assurance vie du défunt, elle n’aurait même pas pu payer ses dettes et ses frais funéraires puisque l’héritage est entière­ment revenu à ses deux enfants.

«Ta vie est déjà brisée par la mort de ton conjoint et en plus tu es cassée parce que tout ton argent va à tes enfants. Tu ne peux même pas l’utiliser, mais tu as des arrangements funéraires à organiser et des paiements à faire», dénonce Julie (nom fictif).

C’est l’assurance vie qui lui a permis de sortir la tête hors de l’eau, sinon elle se serait sans doute retrouvée à la rue. Ce genre d’assurance permet de garantir une sécurité financière à ses proches lors d’un décès, mais ce n’est pas tout le monde qui y adhère.

«Sans l’assurance vie, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Un bout de papier qui coûte 200 $ aurait pu nous sauver de tout ça. Un testament, ça te laisse le temps de vivre ton deuil, ça enlève les problèmes et le poids financier», insiste-t-elle.

L’anonymat de la jeune mère a été préservé en raison des circonstances de la mort de son conjoint. Ce dernier a été victime d’un meurtre il y a cinq ans. Le couple était fiancé, mais pas encore marié. Ils étaient ensemble depuis 13 ans et ils avaient deux enfants en bas âge.

Coincée

«On avait la belle petite famille, on n’a jamais pensé à faire un testament. C’était pas pressant pour nous», raconte la jeune mère.

Julie a eu toute une surprise lorsqu’on lui a appris que tout l’héritage laissé par son conjoint revenait à ses deux enfants aujourd’hui âgés de quatre et six ans, dont la maison familiale.

«Je ne peux pas faire refinancer la maison parce qu’elle ne m’appartient pas. Je ne peux donc pas faire des rénovations comme je l’aurais souhaité, je suis prise», déplore-t-elle.

En effet, lors d’un décès sans testament, c’est le Code civil qui s’applique, et le conjoint de fait n’est pas pris en considération. Les enfants sont les premiers sur la liste des héritiers.

Julie travaillait aussi avec son conjoint, qui était propriétaire d’un commerce. Elle s’est donc aussi retrouvée sans salai­re lors de la mort de son conjoint.

Elle est finalement retournée aux études et a commencé un nouveau travail deux ans après le décès.

«J’étais sûre que tout me revenait, c’était le père de mes enfants, on travaillait ensemble. Mais je valais zéro, c’est très frustrant», s’insurge-t-elle.

Comme ses enfants sont mineurs et qu’ils ont hérité d’une somme supérieure à 25 000 $, il a fallu créer un conseil de tutelle constitué de membres de la famille.

300 000 $ à 18 ans

Julie se retrouve maintenant à vivre dans la maison de ses enfants. Elle doit rendre des comptes aux membres du conseil de tutelle et au Curateur public pour la gestion de l’héritage jusqu’à ses enfants aient 18 ans. À ce moment-là, ils se retrouveront avec quelque 300 000 $ dans leur compte en banque.

«C’est vraiment le plus terrible, j’ignore ce qu’ils voudront faire avec autant d’argent, c’est ce qui me stresse le plus», insiste Julie.

Des successions encore plus complexes à l’avenir

Photo Marie-Ève Dumont

Marie-Pierre Champagne, notai­re, espère que les gens s’assureront de protéger leur patrimoine en faisant leur testament même si la mort reste un sujet tabou.

Devant une population vieillissante, vivant souvent seule, et de nombreuses familles recomposées, des notaires craignent que les successions deviennent encore plus complexes si un proche meurt sans testament.

«On se rend compte qu’on en a souvent, des histoires de familles qui n’avaient plus de nouvelles du défunt. Elles ne savent pas quoi faire et ne trouvent pas de testament. On en entend beaucoup plus parler», mentionne la notaire Nancy Émond, qui répond depuis 10 ans à la ligne d’information de la Chambre des notaires.

Quand une personne meurt seule, sans testament, le notaire doit rechercher tous les héritiers, ce qui peut s’avérer complexe et coûteux.

La notaire Heidi Robinson a aussi remarqué que davantage de successions sont insolvables.

«Les gens sont de plus en plus endettés. Ils décèdent et il ne reste rien ou des dettes. Il faut ensuite retrouver tous les héritiers un par un pour savoir s’ils renoncent à la succession», mentionne-t-elle. En effet, à moins de renoncer à la succession, les héritiers sont responsables de la dette.

3 familles

Les familles recomposées amènent aussi leur lot de complications lors d’un décès sans testament.

Si un parent décède sans testament et qu’il a des enfants mineurs, ce sont eux qui héritent. Si en plus, ces enfants sont issus de deux unions, il faudra créer deux conseils de tutelle avec trois familles impliquées, insiste Me Émond.

«Il y a des membres des familles qui pourraient même devoir être sur les deux conseils. Déjà que les gens n’aiment­­ pas beaucoup se mêler des affaires­­ des autres et le font par obli­gation, c’est une charge pour eux», explique­­-t-elle.Me Robinson pense aussi à des cas où le défunt était dans une nouvelle union de fait, mais pas divorcé de sonex-femme­­.

«Il se peut donc que la nouvelle conjointe se retrouve copropriétaire de la maison avec l’ex-femme et les enfants de son conjoint. Ça peut créer des situations vraiment compliquées», insiste la notaire.

Plus de testaments

Par ailleurs, la Chambre des notaires du Québec a noté une augmentation majeure du nombre de testaments enregistrés­­ en 2015, par rapport aux années­­ précédentes. Tandis que le nombre de testaments se situait toujours autour de 190 000, ce chiffre a bondi à plus de 203 000 l’an dernier. La Chambre ignore si cette hausse est due au vieillissement de la population ou au fait que les gens sont plus informés sur l’importance du testament.

«C’est certain qu’un testament, ce n’est pas tangible comme une maison. Ça ne représente rien pour [le défunt], mais ça fait toute la différence pour ceux qui restent», insiste Me Marie-Pierre Champagne, notaire et conseillère juridique chez BCT notaires.

Les testaments en chiffres 

203 441 testaments inscrits au registre de la Chambre des notaires du Québec (2015)

13 000 nouveaux testaments ont été inscrits en 2015 par rapport aux années précédentes

3160 dossiers de successions non réclamés reçus (2015-2016)

58% des Québécois auraient rédigé un testament (2016) 94% d’entre eux l’ont fait devant notaire (2016)

24,3 M$ de biens non réclamés* incluant les successions ont été remis aux personnes auxquels ils revenaient (2015-2016)

54,4 M$ ont été versés au Fonds des générations, provenant des biens non réclamés (2015)

Étiquettes : coincée, héritage, , plage, , veuve

    Laisser un commentaire